Marius Marcinkevičius, Inga Dagilè
Eitan et Rivka sont à la fenêtre de la maison. Ils portent une étoile jaune. C’est l’été 1943 à Vilnius, mais il y a tant d’autres endroits où l’histoire aurait pu se dérouler. La partie de la ville qu’ils peuvent voir est entourée d’un mur surmonté de barbelés. Depuis le printemps, des corbeaux volent alentour. « Des hommes en uniforme noir ont suivi. Pareils aux grands oiseaux noirs, ils tournoient dans la ville en croassant dans leur drôle de langage rauque. » Il y a une grande porte que personne n’a le droit de franchir.
Malgré une grande sobriété de mots, le lecteur est interpelé par la lourdeur de l’atmosphère, tandis qu’il regarde vivre les deux jeunes héros.
La grand-mère d’Eitan lui a dit que son prénom signifie « fort », mais il n’y a qu’en compagnie de son amie Rivka, qu’il se sent moins craintif. La plupart du temps il a peur et surtout peur que Papa ne revienne pas, lui qui a un jour franchi la grande porte. Car « parfois des hommes seuls passent la grande porte. Parfois des familles entières ». Ensuite leurs maisons sont vidées.
Eitan doit donner un concert avec son violon. Au théâtre, tout son monde familier est là pour l’entendre. Il voudrait bien se prouver qu’il n’est pas un poltron. Il se laisse emporter par la musique et le morceau qu’il joue devient vite pour lui un combat symbolique contre les oiseaux noirs. Il les pourfend avec fougue, jusqu’à ce que son arme se brise…jusqu’à ce que son archet se brise. Le lendemain, tout leur groupe est contraint de passer la grande porte.
Le lecteur retrouvera Eitan des années plus tard, devenu ce petit caillou qu’on pose traditionnellement sur une tombe juive quand on la visite ; Eitan qui sent « la chaleur revenir dans son corps de pierre ».
Ghetto, Shoah, les mots n’apparaissent pas ici, mais il faut faire savoir aux enfants cet indicible-là ! Ce petit album profond, délicat et attachant peut y contribuer avec sensibilité.